Un médecin raccroche son sarrau après un demi-siècle de pratique
28 juillet 2021
PAR GEOFFREY DIRAT ‒ ProfessionSanté ‒ L’actualité médicale
Premier Québécois à décrocher le titre de médecin de l’année décerné par le Collège des médecins de famille du Canada en 1995, le Dr Réjean Ménard s’apprête à prendre une retraite amplement méritée. Pour Profession Santé, il livre son regard sur l’évolution de la pratique ces cinquante dernières années.
Ce dimanche 1er août 2021 marque un tournant dans la vie du docteur Réjean Ménard. Le médecin de famille prend sa retraite après 50 ans de bons et loyaux services auprès de la population de Granby, où il a toujours pratiqué depuis le début de sa carrière.
S’il a besoin de souffler un peu – «je n’ai pas pris de vacances depuis le début de la pandémie en mars 2020», signale-t-il –, le vaillant septuagénaire éprouve un sentiment mitigé à l’approche du jour J: «J’aime beaucoup, beaucoup cette profession de médecin de famille quand elle est exercée au sein d’une équipe, explique-t-il avec un trémolo dans la voix. La médecine, ça ne se fait pas tout seul dans son coin», martèle celui qui a fondé en 1971 le Centre de médecine familiale (CMF) de Granby avec trois autres confrères fraîchement inscrits au tableau de l’Ordre.
«À l’époque, la médecine de famille se pratiquait en solo. On a été parmi les pionniers à travailler en groupe», se souvient le Dr Ménard. Si cette organisation est aujourd’hui devenue la norme, il constate qu’il en résulte une plus grande interdisciplinarité en louant l’apport bénéfique des infirmières, pharmaciens et autres professionnels de la santé que l’on retrouve désormais au sein des cliniques de médecine familiale. «L’approche interdisciplinaire, c’est ça l’avenir. Les médecins sont très peu formés en santé mentale ou en santé environnementale, par exemple, mais ils ont les compétences pour gérer, en collaboration, la complexité de la prise en charge des patients en première ligne», souligne le praticien qui considère le médecin de famille comme un chef d’orchestre et non pas comme un multi-instrumentiste.
Quand il regarde dans le rétroviseur de son demi-siècle d’exercice, Réjean Ménard voit également d’un œil positif l’avènement de la télémédecine. «Avec mon équipe, on a toujours fait beaucoup d’appels de suivi. C’est dans ma philosophie et je faisais ça hors rémunération, car ça fait partie de la relation normale entre un médecin et son patient, estime-t-il. Aujourd’hui, grâce aux nouveaux outils, on va plus loin dans la relation à distance et on peut avoir une bonne idée de la situation du patient», explique-t-il en notant que la pandémie a levé les freins à la télémédecine, tant chez les soignants que chez les patients.
«On ne peut pas tout centraliser»
En revanche, s’il y a une évolution que le Dr Ménard juge négative ou contre-productive, c’est la centralisation intensive du réseau de la santé depuis une décennie. «On peut centraliser le matériel et les équipements pour réaliser des économies d’échelle, mais pas l’organisation du travail ou la gestion du personnel», affirme-t-il en se remémorant l’esprit d’équipe qui régnait à l’Hôpital de Granby, où il a longtemps pratiqué. «On avait développé des particularités, des façons de faire qui nous étaient propres pour s’adapter aux réalités de notre communauté et ça, ça crée un sentiment d’appartenance qui n’existe plus dorénavant», regrette le médecin qui garde espoir: «On peut toujours revenir en arrière!»
Après le 1er août, Réjean Ménard va prendre un ou deux mois pour recharger ses batteries, mais il compte par la suite rester actif et s’impliquer auprès de la relève en continuant d’accompagner les résidents accueillis au CMF. Une relève qu’il juge bien mieux formée qu’en son temps. «À mon époque, on faisait quatre ans de cours, une année d’internat, et on était médecin de famille. Aujourd’hui, les jeunes omnipraticiens ont un bagage bien plus complet. Ils sont capables d’identifier une céphalée multi-factorielle ou une tumeur au cerveau. Donc ils sont plus à même d’orienter les patients.» Quant à ces derniers, le Dr Ménard les trouve aussi plus informés et plus critiques, «et c’est tant mieux. Quand le patient est éclairé, on peut discuter avec lui et prendre des décisions ensemble».